LAICITE D'AILLEURS, LA LAICITE DES AUTRES
Que nous apprennent les Etats-Unis sur notre façon d'envisager la laïcité ?
Parler et célébrer la laïcité aujourd’hui, dans le cadre d’une école républicaine pour qui le principe est acquis depuis 1905 semble aussi redondant qu’anachronique. Pourtant, l’actualité brûlante des différentes parties du globe ne cesse de nous rappeler le bien-fondé d’un principe qui s’est voulu la matérialisation d’un garde-fou contre les excès du pouvoir temporel dans la sphère publique.
Aujourd’hui, que reste-t-il de ce combat, de ces objectifs, de sa dérangeante pertinence ? Tout et rien. Rien car la France se présente et ne cesse de s’affirmer comme une République sécularisée où la religion n’a plus sa place dès lors qu’elle interfère avec la déroulement de la vie publique. Tout, car la frontière entre la liberté de conscience et le prosélytisme est bien souvent très mince.
Pour la quinzaine de lycéens qui ont rejoint l’atelier « La Laïcité des autres, regard sur les Etats-Unis » en ce mercredi 9 décembre 2015, la rencontre a d’abord été avec un autre système, une autre laïcité, celle des Américains. Au travers d’un épisode de la célèbre série télévisée Les Simpsons, qui peint au vitriole la société étatsunienne et son rapport consumériste à la religion, le petit groupe s’est d’abord penché sur la manière dont les différentes cultures, les différents pays, les différents publics accueillent et jugent le fait religieux. Pour eux ce fut une découverte ou un décentrement de comprendre que la religion, qui en France n’a pas sa place dans la vie publique au point d’être devenue hors sujet, a aux Etats-Unis toute sa place, parfaitement compatible avec la modernité.
Il faut ce regard sur la laïcité des autres pour se souvenir que la France est bien plus qu’une République laïque (la laïcité étant le fait de séparer la religion de la vie publique) ; elle est un Etat sécularisé. Parler de religion en France, c’est parler d’un problème ou faire un hors-sujet. C’est parler d’un objet d’étude qui est grotesque, d’un autre temps ou tout simplement incompatible avec une vie engagée. Les Etats-Unis d’Amérique, dont les Founding Fathers furent tout autant des hommes des Lumières que des pélerins fuyants les persécutions religieuses, ont construit un pays où la religion n’est pas risible : on peut en rire, mais elle n’est pas ridicule. La société fonctionne sur un mode où le protestantisme a imprégné dans ses aspects moraux et civiques, la société tout entière mais avec un idéal laïc très différent de celui de la France.
La laïcité est le fait que l’on doit séparer la religion de la vie publique… Mais qui dit où passe la limite entre les deux ? En France, c’est la Loi, depuis 1905. Voilà pourquoi la laïcité a toujours été combattante : la loi impose et rejette la religion hors de la sphère publique. Aux Etats-Unis, cette tâche n’incombe pas au législateur mais au citoyen-fidèle. C’est à chacun de savoir établir une frontière entre ce qui relève de sa propre pratique et ce qui relève de l’engagement public. Voilà pourquoi la laïcité étatsunienne est si problématique et laisse de large part de la société empreinte de religiosité. Voilà pourquoi nous Français sommes souvent promptes à affirmer que la laïcité américaine est moins “authentique”, moins sincère et moins aboutie car le religieux imprègne la politique et la société. Pourtant, les deux combats mettent en avant la liberté et sa protection : protéger les citoyens de la religion et de ses excès en France, protéger les fidèles et leur liberté de conscience aux Etats-Unis.
Plutôt qu’une célébration, l’atelier de ce mercredi matin aura surtout eu pour but de comprendre que la manière d’envisager la laïcité est une question de point de vue, qui mobilise des valeurs certes importantes mais dont les événements récents ou actuels au Moyen Orient et en France nous rappellent combien elles sont fragiles à défendre et délicates à promouvoir.