QUAND JULIETTE GRÉCO ETAIT DE PASSAGE AU LFI TOKYO
En souvenir de l'artiste Juliette GRÉCO, le LFI Tokyo vous propose de lire ou de relire l'interview qu'elle avait donnée à nos élèves en 2009 lors de son passage à Tokyo.
Nous vous proposons quelques extraits de cette entrevue dans notre article ci-dessous. L'intégralité du passage de Madame GRECO dans nos murs est à lire dans notre rubrique Le Dit d'Asie.
(rubrique Le Dit d'Asie disponible en cliquant sur ce lien)
Bonne lecture,
Le Dit de Juliette Gréco
Juliette GRÉCO a répondu aux questions du journal ASIA dans le cadre de la série des Dits d’Asie. Cette interview exclusive, réalisée le jeudi 5 novembre 2009, a permis à cette grande artiste d’aborder les souvenirs de sa jeunesse indocile, sa vie sous l’Occupation allemande et sa relation à l’Asie et au Japon. Juliette GRÉCO a délivré un formidable témoignage de passion et de vie à ses jeunes interlocuteurs touchés par une parole si libre et chaleureuse.
ASIA – A l’école, quelle sorte d’élève était la petite Juliette ?
Epouvantable, absolument épouvantable ! J’étais dans le fond de la classe, au dernier rang près du radiateur. J’étais muette. J'étais assez caractérielle, assez renfermée, assez difficile. Une enfant vraiment très difficile.
Aviez-vous une matière préférée ?
Oui, la littérature (…) [et] la poésie. Avec une enseignante [Hélène Duc], qui était extraordinaire. Je ne savais pas qu'elle était comédienne, je ne savais pas du tout. Mais la femme était extrêmement généreuse et attentive et utile. Ce qu’on demande finalement à un enseignant, c’est d' abord de vous plaire. Enfin, moi, c'était mon cas, c'était de me plaire, de me mettre en confiance. Avec un gros point d’interrogation sur ma tête et d’attendre quelque chose. Et je recevais d’elle quelque chose.
En 1940, vous vivez dans la zone non occupée et vous allez au Lycée de Bergerac. Quels souvenirs avez-vous de cette période où la propagande du régime du Maréchal Pétain s’imposait à l’Ecole ?
Des souvenirs épouvantables. Epouvantables. Une période inacceptable, grave, dangereuse. Un moment très sombre de l’Histoire de France.
Un jour de septembre de 1943, votre mère, qui fait partie du réseau Résistance Sud, est arrêtée. Que saviez-vous de ses activités et qu’avez-vous alors fait ?
Tout, tout, tout. Je savais tout parce que je voyais des gens passer dans ma maison, dans notre maison, qui étaient des Juifs, qui étaient des Français poursuivis par la Gestapo, ou qui étaient des Résistants. Tous ces gens-là passaient de l’autre côté de la frontière, de la Dordogne jusqu'à Bordeaux, puis jusqu'à la frontière espagnole. Et d’Espagne ils repartaient pour ailleurs. C’était un chemin de liberté, un chemin de combat.
Qu’avez-vous alors fait après que votre mère a été arrêtée ?
Ce que j’ai fait ? Et bien je suis allée en prison tout bêtement. En retournant à Paris, avec ma sœur, nous nous sommes fait arrêter. Il y a eu des interrogatoires douloureux et humiliants par la Gestapo. Puis, il y a eu la prison. Voilà. Moi je ne suis pas restée très longtemps en prison, parce que nous ne sommes pas juives, ni ma mère ni moi ni ma soeur. Ce que je n’ai pas compris, d'ailleurs je ne comprends toujours pas pourquoi les enfants juifs sont allés en déportation, les enfants catholiques assez peu... Mais enfin c’est ainsi, c’est une des injustices profondes de notre société.
Quelles images gardez-vous de la Libération de Paris et de la fin de la guerre ?
Soleil !
Après la guerre, votre mère s’engage dans la marine nationale et part en Indochine. Vous, vous fréquentez les intellectuels anticolonialistes à une époque où l’on admire beaucoup Mao et Ho chi Minh … Quel est alors votre intérêt pour l’Asie ? Politique ou artistique ?
Les deux. Le tout. Je pense qu’on ne peut pas s’intéresser à l’Asie autrement que dans sa totalité. C’est trop fort, trop lourd, trop présent, trop ancien pour ne pas être considéré dans sa totalité. On ne peut pas regarder l’Asie avec seulement ce qu’elle a de plus beau ou ce qu’elle a de pire. C’est extrêmement important. Dans la culture du monde, l’Asie a quand même un statut extraordinairement fort. Quelques fois, pour nous, trop fort.
Vous qui êtes d’une génération contemporaine de l’utilisation de la bombe atomique, qu’avez-vous éprouvé lorsque vous êtes allée à Hiroshima ou à Nagasaki ?
C’était abominable. Tu n’étais pas encore née. Quand je suis venue au Japon, c’était peu de temps après la sortie du film « Hiroshima mon amour ». A Hiroshima, on m’a invitée à aller porter une gerbe à ce monument qui est absolument effrayant. Plus froid, plus glacial, plus abstrait que cette petite arche, c’est terrifiant. Donc je me suis cognée le chemin jusque-là et j’ai posé mon bouquet. J’étais morte, à la fois de douleur, de honte, de malheur…
Vous avez été l’amie de Marguerite DURAS qui est née à Saigon. A Hô Chi Minh -Ville, on étudie la possibilité de donner son nom au Lycée français de cette ville. Soutenez-vous ce projet ?
Je ne suis pas au courant, mais c’est une bonne idée. Il ne peut pas y avoir meilleure idée ! Marguerite DURAS c’est quand même un être exceptionnellement intelligent, humain et c’est un magnifique écrivain.